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Nashville
Samedi 20 décembre
15 h 40
John faisait les cent pas devant l'entrée de l'église, regardant partout et ne voyant rien. JJ était vaguement conscient d'avoir froid ; il ne portait pas de manteau, seulement son costume de cérémonie. Un habit gris sombre, un pantalon aux rayures presque imperceptibles, une jaquette à carreaux d'un gris subtil et une large cravate ardoise, piquée d'une épingle à tête de nacre, qui avait appartenu à son arrière-arrière-grand-père. Taylor le traiterait peut-être de dandy, mais il n'avait pas l'intention de se marier plus d'une fois, et il voulait le faire dans les formes. Et puis, les différents tons de gris lui rappelaient les yeux de sa fiancée.
Qui n'était pas là.
Il regarda de nouveau sa montre. Elle avait quarante minutes de retard. Et il se flétrissait intérieurement à chaque seconde qui passait. Chaque battement de cœur était plus douloureux que le précédent. Il avait imaginé cette journée des centaines de fois, mais l'absence de Taylor n'avait jamais fait partie du scénario.
L'église épiscopale de Saint-George était située dans le quartier de Bella Meade, à moins de quinze inimités de l'Hermitage Hôtel. Dix, si les feux étaient verts et que la circulation n'était pas trop dense. H n'y avait aucune raison pour que la limousine mette aussi longtemps à arriver. Si elle était tombée en panne ou s'il y avait eu un accident, ils auraient été prévenus, soit par l'entreprise de limousines, soit par l'officier de police appelé sur les lieux. Les mariés et leurs témoins faisaient tous partie des forces de l'Ordre, et la plupart des invités avaient un lien avec elles. Nashville était une petite ville ; très peu de membres du département de police ignoraient que le lieutenant Jackson se mariait aujourd'hui.
Inutile d'essayer de l'appeler sur son portable : Sam l'avait fourré dans son sac à langer parce qu'il ne rentrait pas dans le sac à main de Taylor.
John se retenait tout juste d'arracher sa veste et de se mettre à hurler. Bon sang, où était-elle passée ? Comment avait-elle pu lui faire ça?
Une bouffée d'air tiède l'enveloppa, et les accents de la WaterMusic de Haendel flottèrent jusqu'à ses oreilles. Fitz apparut devant la porte de l'église, un sourire paternel sur son large visage. John cessa de s'agiter un instant, heureux d'avoir un peu de chaleur et de compagnie.
— Ecoute, fiston...
John l'interrompit d'un geste. .
— Je sais ce que tu vas me dire, Fitz. Il prit une voix de baryton avec un accent traînant du Sud.
— « Après tout, tu ne la connais pas depuis longtemps, fiston. Vous, les jeunes, vous voulez toujours tout précipiter. C'est une petite sauvageonne, cette fille, je le dis comme un compliment... »
Il reprit sa voix normale.
— Je sais que ça t'a fait un choc de la voir tomber amoureuse de moi. Maintenant, tu vas me dire que c'est sans doute pour le mieux, n'est-ce pas ? Tu as une mauvaise opinion de moi depuis le départ, je le sais.
Il lui décocha un regard noir et ajouta :
— Et arrête de m'appeler « fiston ».
— Tu n'as toujours rien compris, hein?
John s'écarta et dévisagea Fitz. L'indignation grandissait en lui.
— C'est toi qui lui as conseillé de me poser un lapin, pas vrai ? Tu lui as dit de ne pas venir. Je sais que toute cette histoire de mariage lui faisait un peu peur, mais de là à... Je n'arrive pas à y croire.
Il s'éloigna à grands pas, puis se retourna, les épaules tendues, les poings serrés le long du corps.
— Et tu continues à sourire comme un imbécile ? Tu trouves ça drôle?
Fitz émit un toussotement.
— Drôle, pas vraiment. Evidemment, ta réaction est amusante, mais à part ça, la situation n'a rien d'humoristique. Tu la connais vraiment si bien que ça, fiston ? Tu crois sincèrement qu'elle te poserait un lapin devant l'autel ?
— Je...
John déglutit. Ses poings s'ouvrirent, ses épaules se détendirent. Le croyait-il vraiment? Croyait-il que l'amour de sa vie était assez lâche, assez cruelle pour disparaître le jour de leur mariage ? La douleur dans sa poitrine commença à s'apaiser, aussitôt remplacée par une terrible angoisse.
— Tu commences enfin à piger, hein, sfora?
Oui, il comprenait enfin. Fitz était fâché parce qu'il avait perdu sa foi en Taylor. Parce qu'il avait cru, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, que cette femme forte, étonnante, magnifique, n'avait pas eu le courage de lui dire en face qu'elle ne voulait plus de lui. L'effroi le gagna. Il regarda mieux Fitz. Son rictus n'était pas narquois, mais crispé et inquiet. De petites rides s'étaient creusées entre ses sourcils.
— Bon sang, Fitz, qu'est-ce qui a pu lui arriver?
— J'en sais rien, fiston, mais je crois qu'il vaudrait mieux rentrer à l'intérieur et demander de l'aide.